De 37 à 12, de 12 à 7. 7 visites en atelier, sur chantier etc. Puis 3. Puis deux... eh ben puis 1.
Quelques mois avant de nous rencontrer, Joël a eu les honneurs de la Première. En voilà quelques extraits, comme si vous y étiez.
L'invité de Matin Première
Mercredi 7 mars 2001
Joël Coupez, ingénieur architecte
CHOIX MUSICAL: "Un Endroit pour Vivre" de William Sheller
Jean-Pierre JACQMIN - "Un Endroit pour Vivre", est-ce que ce n'est pas une chanson angélique pour ceux qui visitent le salon Batibouw? Ce n'est peut-être pas si simple que ça, de construire?
Oui, mais je crois c'est aussi important de se dire qu'un endroit a aussi une âme. Et c'est important de se dire que, quand on construit une maison, ce n'est pas simplement une boîte à chaussures, un espace qu'on vend comme une voiture, ou des choses purement commerciales. C'est aussi quelque chose qui est chargé d'émotion. Quand les gens souhaitent construire une maison, c'est en fait toute leur vie qui passe dedans.
Les gens qui vont au salon Batibouw, on parle de 350 000, 400 000 personnes, c'est énorme. Là-dedans, il y a un certain nombre de personnes qui vont choisir leur maison, j'allais dire: sur stand. Est-ce que ce n'est pas déjà la catastrophe, ça ?
La catastrophe en tant que telle, non, parce que les constructeurs de clé-sur-porte travaillent, pour la plupart, bien. D'un point de vue technique, en tout cas. Mais il faut aussi se rendre compte que ce n'est pas nécessairement la solution la moins chère, la moins onéreuse. Pourquoi? Parce que toute la partie commerciale, toute la partie marketing qui est développée, quelque part, il faut la payer. Inévitablement aussi, on a à faire à un mode de construction standardisé, qui ne correspond pas à un travail sur mesure pour les personnes. Et je m'aperçois qu'en fait, l'architecte a la capacité de pouvoir faire un travail sur mesure souvent moins cher que ce type de construction.
C'est toujours la même guèguerre, je dirais, entre les architectes et les grandes entreprises de construction qui travaillent dans le standardisé mais qui parfois permettent d'avoir pour un prix identique, des matériaux plus intéressants ?
La guèguerre, peut-être pas. C'est un peu dommage de voir que, quand il travaille avec une entreprise de clé-sur-porte, l'architecte est généralement un architecte de pacotille. Et donc, si il y a un message à faire passer ici, c'est qu'on souhaite avoir une meilleure maîtrise, du budget sans doute, mais surtout du timing lorsqu'on travaille avec ce type d'entreprise. On est prêt à payer un petit peu plus cher. Mais surtout prendre un architecte totalement indépendant de l'entreprise, ça, c'est un élément tout à fait essentiel. C'est certainement le meilleur conseil qu'on puisse donner aux visiteurs de Batibouw.
Vous êtes formel: travailler avec un architecte et construire sa maison tout à fait sur mesure, ça ne revient pas plus cher que de travailler avec une entreprise de clé-sur-porte ?
Mais on parle toujours de rapports qualité-prix. Et donc, si on imagine un travail de qualité - par rapport à un certain nombre de matériaux plus sains - il est certain qu'on mettra un tout petit peu plus d'argent. Mais la différence va être relativement faible sur l'ensemble du montant de la construction. Il est certain aussi que si on emploie des bains à bulles dans une salle de bain plutôt qu'une baignoire....
Ca, on peut le faire avec une clé-sur-porte aussi.
Je le sais très bien. Mais il y a de grosses différences en termes qualitatifs. Et l'architecte va vraiment guider les clients sur le plan de la qualité et la qualité a un prix. Comme pour les voitures, comme pour un tas d'autres choses dans la vie de tous les jours.
Il y a combien de maisons unifamiliales construites par des architectes particuliers ou par le clé-sur-porte? Vous avez une idée? C'est en évolution?
Il y a vraiment une tendance du secteur d'aller plus vers le clé-sur-porte. Je ne sais pas si il faut s'en réjouir ou non. Mais qu'on prenne nos campagnes et les zones semi-urbaines... Ce n'est pas toujours les choses les plus heureuses, d'un point de vue urbanistique.
Visiblement, les gens flashent souvent sur ce qu'on appelle la maison "à la flamande", " à la brabançonne". C'est pas un peu facile de la part des architectes de les dénigrer en disant comme ça : 'Enfin, vous savez de la briquette de façade' ?
Non, je pense que le problème n'est pas de dénigrer un style. De toute façon, je m'aperçois que les fermettes flamandes commencent à être tout à fait dépassées, clairement, dans les messages et dans les volontés des bâtisseurs. Ce qui arrive maintenant, de manière plus précise. C'est qu'il est important de pouvoir consacrer le temps à l'écoute! Et l'architecte, c'est quelqu'un qui est à l'écoute des besoins, des besoins fondamentaux des personnes. Pas simplement dire: 'Vous avez besoin d'autant de chambres.' C'est rentrer dans quelque chose de beaucoup plus profond, définir vraiment ce qui est presque la poésie de l'espace qu'ils ont toujours souhaitée. Et cette poésie de l'espace, c'est ce qui va donner l'âme à ce bâtiment. Je pense que le vieillissement des bâtiments est surtout lié au fait qu'on a qu'une maison purement fonctionnelle. Une maison qui a de l'âme, parce que le premier propriétaire lui a donné cette caractéristique - et je ne parle pas d'une architecture nécessairement contemporaine - c'est vraiment quelque chose qui peut être basé sur des petites choses mais qui correspond à une volonté première des personnes et pas à un standard. Et de nouveau, c'est tellement intéressant de parvenir à faire quelque chose de tout à fait lié à des personnes. De sorte à ce que ces personnes vont, par après, pouvoir rayonner, avoir beaucoup de plaisir à vivre. Et je crois que ça s'inscrit sur les murs. C'est l'âme, peut-être.
Ceux qui construisent sont ceux qui travaillent, qui ont déjà une occupation très, très importante. Parce que pour pouvoir construire, il faut pas mal d'argent. Est-ce que les gens ont le temps de faire cet investissement? C'est endroit pour vivre, comme vous dites, mais c'est aussi un endroit pour la vie. Est-ce qu'on a vraiment, matériellement, le temps de se préoccuper à fond des choses comme ça? C'est quand même plus facile - et quelque part, plus sûr - d'avoir une clé-sur-porte qui ne sera peut-être pas tout à fait dans l'optique de ce qu'on imagine mais qui correspondra quand même à un bon rapport qualité-prix ?
Je pense qu'il est quand même intéressant de parvenir à passer... peut-être 5 soirées ou une bonne après-midi à discuter avec un architecte, en considération des 30 ans de bonheur qu'on va avoir dans une maison. Le temps, tous les clients ont la capacité de le prendre. Ils le prendront même, peut-être, sur leurs jours de congés. C'est assez caractéristique. Mais c'est un moment qui est essentiel. Et je dirais, il faut peut-être plus penser à la définition de l'espace qui est important, qu'au choix de choses peut-être plus futiles et qui vont peut-être passer de mode, comme le carrelage, des choses qui sont plus de l'ordre du détail.
Est-ce qu'il est facile d'innover, de créer en architecture, actuellement en Belgique?
Facile? Il faut voir, d'abord, si on parle du marché public ou du marché privé, résidentiel. Ici, nous parlons principalement du marché privé et résidentiel.
Dans le marché public, la commande publique de création n'existe pas. Et donc, je crois que la réponse est assez simple.
Au niveau du résidentiel, on s'aperçoit que la Belgique est vraiment un cas unique en Europe, dans le sens où beaucoup de maîtres d'ouvrage décident de confier à leurs architectes quelque chose qui est vraiment à la pointe de l'architecture. Les Belges ont tendance à vouloir personnaliser leurs briques.
Ce que vous appelez le maître d'ouvrage, c'est celui qui construit ?
C'est ça, c'est l'appellation classique pour l'architecte, dans la relation qu'il a avec son client. Et donc, c'est clair que cette relation est assez importante.
En matière d'urbanisme, vous pouvez faire ce que vous voulez ?
Les règles de l'urbanisme nous empêchent parfois de faire des choses. Mais je pense que le problème n'est pas tellement là, n'est pas tellement lié aux textes de lois mais plutôt au caractère non opérationnel des lois. On a des gens, des fonctionnaires de l'urbanisme en face de nous, qui sont souvent de bonne composition mais qui sont complètement débordés par l'inflation législative qui a lieu, en Région wallonne et surtout en Région bruxelloise où tous les six mois, le contexte législatif change. Au point que, on leur pose la question: 'Qu'est-ce qu'on peut faire?", ces fonctionnaires ne savent même plus nous répondre, et disent: Attendez deux mois, peut-être que ça va encore changer!". Travailler sur des bases aussi floues est donc une situation vraiment dommageable, d'une part pour la sécurité juridique du client, mais aussi pour l'architecte.
Un autre problème qui est vraiment constant et qu'on ressent très fort en Région bruxelloise, c'est la lenteur ou la longueur du traitement d'un dossier. Il faut savoir qu'un dossier de permis d'urbanisme va durer minimum six mois, jusqu'à un an, parfois pour une simple modification de lucarne qui entraîne une enquête publique des commissaires...
Ce n'est pas la même chose en Wallonie et en Flandre ?
On travaille évidemment sur les trois régions et, ce qui est assez curieux, c'est qu'en Wallonie, on a la possibilité de déposer dans certaines communes des dossiers de permis d'urbanisme de taille équivalente à ce qui pourrait se passer à Bruxelles et qu'en trois semaines, le dossier est traité. Et donc, on ne peut pas comprendre. Au départ, les réglementations urbanistiques datent des années 60 et sont d'ordre fédéral, on a le même corpus. Mais tout a évolué et effectivement, c'est fort dommageable que Bruxelles ait une telle durée.
J'ai entendu beaucoup d'architectes reprocher à la Wallonie, entre autres, des règles toutes simples. Par exemple, au point de vue des toitures, c'est une toiture double pente et on ne sort pas de là.
C'est assez vrai, même si il y a possibilité parfois de sortir et de faire un certain nombre de dérogations. Le simple fait d'avoir un règlement général sur les bâtisses en milieu rural signifie, pour certains fonctionnaires, qu'on est dans un contexte réglementé; pour d'autres, on est dans un contexte indicatif. Si c'est un contexte indicatif, c'est intéressant parce que ça explique la procédure, comment le restant du bâti a été constitué. Mais si il est réglementaire, ça ferme très fort le débat. Et donc, là, en fait, il y a un flou qui est laissé à l'appréciation subjective du fonctionnaire et qui pose problème pour le traitement du dossier. L'architecte ne sait pas toujours sur quel pied danser.
Vous travaillez en bio-construction, c'est-à-dire avec des matériaux nouveaux ou des matériaux anciens qui sont remis à la mode. C'est facile d'utiliser des matériaux nouveaux par rapport à ces règles d'urbanisme ?
Au niveau du matériau nouveau, au niveau du bois par exemple - parce qu'on travaille beaucoup avec des maisons en bois -, la Région wallonne a pris un certain nombre d'actes dans le sens qu'on peut construire plus facilement en bois. Mais cela n'a pas beaucoup d'incidence au niveau des qualités. Ou des permis d'urbanisme puisque c'est surtout des matériaux qui se placent à l'intérieur de la construction.
Plus récent, une émission sur La Première, Tout autre Chose, consacrée aux maisons bioclimatiques. A écouter ici !